Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
journal de ZEP
31 mai 2008

Pourquoi j’ai honte d’appartenir à l’Education Nationale

Si vous trouvez que l’éducation coûte trop cher, essayez l’ignorance.
Abraham Lincoln



        L’éducation n’est plus nationale, depuis longtemps. Mais au moins, avant, je pouvais encore naïvement y croire, j’avais des idéaux. Je me disais : cette école n’est pas parfaite, mais nous ferons en sorte de réduire les inégalités sociales, je suis là pour ça, pour donner une chance à ceux qui sont les plus démunis face au savoir et à la culture.
Foutaises.
        Les bonnes classes roulent toutes seules, les mauvaises tombent de plus en plus bas et je ne puis plus qu’assister impuissante à cette dégringolade.
Je sais bien que sur les milliers d’élèves que j’aurais eus, il s’en trouvera bien quelques-uns à qui mon enseignement aura profité, il s’en trouvera toujours un ou deux qu’on pourra montrer en exemple pour ne pas se dire que nous avons vécu en vain.
Et les autres ?
        J’ai été très touchée par vos commentaires lorsque j’ai fait cet article, je suis d’accord avec vous, il faut semer, il faut garder l’espoir, nous faisons peu mais ce peu est essentiel.
Je suis touchée mais je reste profondément révoltée par cette entreprise générale de décervellement à laquelle je participe malgré moi.
        Je ne me sens plus faire partie de l’éducation « nationale », l’éducation nationale n’existe plus. Il ne faut pas se voiler la face.
Mes élèves sont dans un collège ghetto, méprisé par les autres établissements, stigmatisé par les médias, ignoré par les instances supérieures. Bien sûr, on s’agite, on bouge, on sort les élèves, ça remue, c’est beau mais ça ne change rien. Un élève qui sort de mon bahut part dans la vie comme un bœuf se dirige inévitablement vers l’abattoir.
Qu’est-ce qu’il lui reste s’il veut gravir les échelons de la société ? A prouver qu’on peut s’en sortir quand on vient de nulle part ? A devenir brillant pour espérer dépasser les préjugés ? A espérer qu’il fera partie de l’infime minorité des enfants des cités à qui on fait l’aumône d’intégrer une grande école ?
Oh ! Mais regardez comme cet enfant est doué ! Voyez où il a grandi ! C’est incroyable ! C’est bien la preuve que ces enfants-là aussi sont intelligents !
Ces enfants-là aussi sont intelligents, bien sûr… Regardez-les à la télé, le petit Rachid, la petite Jessica, dans leurs habits tout neufs en train de reproduire un discours formaté, la main dans celle du ministre, la fierté des parents, la revanche... Pour cent revanches par an, pour cent petits clowns tristes livrés ainsi au besoin de bonne conscience du public, combien de gosses abandonnés par l’éducation NATIONALE ?
Abandon du programme dans les établissements difficiles, baisse des effectifs, réduction drastique du nombre d’heures de cours, à qui veut-on vraiment faire croire que l’éducation est NATIONALE ?
L’élite continue à se reproduire, l’élite pourra payer les cours particuliers, l’élite pourra mettre ses enfants dans le privé, l’élite pourra encore se vautrer dans sa bonne conscience puisque l’ascenseur social existe, suffit de regarder tous ces soutiens individualisés, ces internats, ce « retour aux fondamentaux », à l’autorité…
        C’est ça, mettons les pauvres dans des écoles sans avenir, faisons croire aux parents que nous nous occupons d’eux, gardons-les le plus longtemps possible, faisons leur croire que le bac est un examen quand il n’est plus qu’une formalité artificielle, ne faisons plus redoubler, enlevons des heures de cours en primaire, engageons des guignols pour garder la marmaille, ne parlons plus de culture, causons communication, laissons les ordinateurs décider de l’orientation, refusons la qualité, exigeons la quantité, nivelons vers le bas, on en fera des bons petits soldats…
        A qui la faute ?
La faute à tous. La faute aux gouvernements qui ont abandonné depuis tellement longtemps les idéaux d’égalité, la faute aux parents qui ont démissionné, la faute aux profs qui assistent sans réagir à cet assassinat qui ne dit pas son nom.
C’est pas tout blanc tout noir, ça suffit les discours manichéens, il n’y a pas d’un côté les gentils profs qui voudraient bien mais ne peuvent point et puis de l’autre côté les grands méchants politiques qui font rien qu’à les embêter, les salauds.
Comment peut-on encore tolérer que des enseignants incompétents brisent la scolarité de certains élèves ? L’éducation nationale a bien besoin d’être dégraissée, c’est mon seul point d’accord avec l’ignoble individu qui parlait du mammouth. Nous ne pouvons pas accepter que des enseignants fassent mal leur travail, il y en a, pas plus qu’ailleurs, pas moins. Mais l’école ne peut pas accepter ça, c’est le destin de nos enfants qui se joue.
Il nous faut ouvrir les yeux, arrêter de nous réfugier derrière notre corporatisme imbécile, accepter nos défauts, chercher à faire mieux.
        Comment faire ?
J’aimerais bien avoir la réponse.
        A part démissionner, pour l’instant, je n’en sais strictement rien.
Mais cette démission doit être massive, autrement, elle n’a absolument aucun sens.
Un vacataire me remplacera, sans état d’âme, il faut bien vivre.
Créer une école parallèle ? Il faudra bien la financer et qui pourra y pourvoir, à part l’élite, encore elle ?
Et mon petit moi, dans tout ça ? Au chômage, avec la maison à payer, les enfants à nourrir ?
Faut-il toujours entrer dans le moule si on ne veut pas être brisé ?
        Je rêve de révolution et de lendemains qui chantent, mais je ne peux pas être la seule à rêver.
Tant que nous nous réfugierons derrière des querelles dérisoires et stériles, tant que nous continuerons à brasser de l’air, à attendre que les syndicats soient derrière nous pour oser gueuler, à faire des grèves d’une journée, à nous laisser persuader que la seule lutte encore valable et possible c’est l’augmentation de notre pouvoir d’achat, tant que nous continuerons à nous comporter comme des individus et non comme des enseignants et des citoyens, tant que nous accepterons par facilité, par lâcheté ou par impuissance à tolérer qu’on brade ainsi ce qui devrait être notre fierté et notre honneur, nous ne vaudrons pas plus que ceux que nous dénonçons.
        Puisqu’il me reste le rêve, je vais rêver.
Je vais continuer chaque jour à semer des graines invisibles, à donner des coups d’épée dans l’eau, à ravaler ma rage et ma honte, à accepter l’inacceptable.
        Jusqu’à quand ?
Jusqu’à ce qu’on en crève ou qu’enfin, nos idéaux prennent le pas sur …

Il est tellement urgent de se réveiller !

Publicité
Publicité
Commentaires
T
Ysyade : bien sûr que ces enfants ne sont pas virtuels, comment pourrais-je l'ignorer? Je le garde à l'esprit, je vous le promets. Ma colère est énorme mais elle n'est pas dirigée contre eux. Je ne m'aigris pas contre eux. Avec eux, je reste calme et responsable, vous avez raison, ils ont besoin de modèles, ils ont aussi besoin d'être rassurés. Le jour où c'est à eux que j'en voudrais, le jour où je serai tellement aigrie que je n'aurai plus plaisir à venir en cours, je partirai. Mais il demeure que j'adore mon travail et que j'adore mes élèves malgré ma colère. Ce que je dis sur ce blog n'est absolument pas à destination de mes élèves, ils ignorent tout de ma colère, et je n'ai pas l'intention que ça change.
Y
Je trouve que ce qui est vital c'est de toujours garder à l'esprit même s'il est inacceptable de brader l'éducation nationale, même si vos remarques sont justes et justifiés, de bien garder à l'esprit que les enfants qui sont dans nos classes ne sont pas virtuels et que si nous nous aigrissons nous devenons alors des enseignants destructeurs et je crois que cette aigreur qui nous menace est notre plus grand ennemi car nous ne devons pas prendre les élèves en otage. Votre colère est énorme, vous ne pourrez pas la masquer ni la violence qui l'accompagne. Même si les adolescents ne sont pas des anges, n'oublions pas qu'ils ont avant tout besoin de modèles, d'adultes responsables. Alors si nous devons agir, je pense que les jeunes ne doivent pas être laissés de côté et en tout cas, notre colère contre le système, il faut la laisser à la porte quand on enseigne. Le métier de professeur demande finalement des compétences humaines très importantes et ce ne sont pas les concours qui nous y préparent. Voilà, bonne réflexion au sujet de la colère, de l'aigreur et des enfants.
D
Je dirais qu'à court terme c'est encore pire en enseignement professionnel : on a des fillères industrielles qui marchent, avec des débouchés au bout mais on les ferme pour envoyer tous les élèves en seconde. Et dans 5 ans, il y aura pénurie d'ouvriers qualifiés et de techniciens qu'il faudra aller chercher ailleurs... En face, on forme des wagons de secrétaires et de vendeuses : on leurre les élèves qui ont un diplôme qui ne débouche sur rien ou presque. Mais ces filières ne coûtent rien, juste des ordi, alors que les machines industreilles, ça coûte cher !<br /> Pour le rest, je sis d'accord sur tout, le constat allarmant, les profs fumistes à virer et les graines d'espoir qu'il faut continuer malgré tout à semer...
K
j'ai bien fait de revenir moi, encore en train de vous lamenter ! j'applaudis des deux mains !
K
Je vis dans une ZEP...Tout ce dont tu parles je le vois...Je constate aussi la dégradation pour avoir travaillé pendant 6 ans en collège il y a maintenant plus d'une dizaine d'années.
Publicité