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journal de ZEP

6 janvier 2011

Fermeture définitive ...

Cela fait maintenant deux ans que Oui-Oui s'est fait la malle.
Est-ce que ça fait mal ?
Oui. Bien sûr.
Rester, c'était cautionner une éducation qui n'a plus de "nationale" que le nom.
Je n'ai pas pu. Je respecte infiniment ceux qui ont encore ce courage.
Les commentaires de ce blog seront fermés à partir de ce jour, je suppose que vous n'imaginez même pas combien de mails haineux je peux encore recevoir...
Si vous souhaitez lire mon Journal de ZEP, je vous invite désormais à vous le procurer à cette adresse.
Amis visiteurs de hasard, recevez toute mon amitié.
Amis qui parfois venez par ici pour voir s'il reste de la lumière, je vous embrasse fort.
Il y a une autre vie.

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8 novembre 2008

Oui-Oui se fait la malle

Je n’ai jamais aimé le mot fin, alors je ne le dirai pas.
J’ai dit beaucoup, mes joies, mes fiertés, mes colères, ma honte aussi.
Ma rage.
Le dire encore serait répéter, je n’en ai plus le courage.
Je n’en vois plus le sens.
Dans un collège perdu de France, là où les ministres et les journalistes n’ont jamais mis les pieds, des adultes essaient de transmettre quelque chose qui ne se mesure pas à des élèves qui sont des enfants.

Des enfants que j’aime.

 

L'ascenseur pour l'évasion

    Dans le fond de ma classe, une armoire grise en fer.
  Dans l’armoire grise en fer, des livres, des manuels, des cahiers, des photocopies, des classeurs de cours, des affiches usées, d’anciens exposés, des feutres colorés, des objets trouvés attendant leurs propriétaires, scotchées aux parois les photos d’un calendrier Tahitien de l’année 1998 et puis des dictionnaires. Vingt vieux dictionnaires, des frères, tous pareils et tous différents.
    Certains survivent mieux que d’autres. Ils ont presque fière allure et dénotent un peu. Ce sont ceux qui partent les premiers.
    D’autres, moins chanceux, font peine à voir avec leurs couvertures chancelantes, leurs pages cornées, leurs tranches graphitées… C’est la page 347 qui a le plus de succès, celle qui montre le schéma du corps humain, sans les vêtements, comme disent mes élèves. Le plus souvent, elle est recouverte d’annotations subtiles visant la plupart à baptiser les corps féminin et masculin. « Venez voir madame ! Gertrude elle est toute nue dans le dictionnaire ! » La première fois qu’ils ont le droit d’aller chercher le dictionnaire pour y trouver des définitions, je les vois se plonger dedans, fascinés, attirés comme des aimants par la page 347 ! Certains, de peur d’être surpris dans leur contemplation, cachent l’objet du délit sur leurs genoux mais ils ne peuvent dissimuler leur regard perplexe, amusé, gêné…
Comme ils sont surpris d’avoir sous les yeux un livre dans lequel on peut trouver des corps nus ! Et ce n’est même pas interdit ! Il suffit d’aller chercher une définition et de passer incidemment par la page 347 !
D’autres pages ont leurs fans inconditionnels, celle des drapeaux, celle des pays, celle des animaux, celle des oiseaux, celle des dauphins.
Curieusement, la page « cancre » ne trouve pas d’amateurs..
  Ils ne savent pas à quel point ils me font plaisir quand ils voyagent ainsi dans les pages du dictionnaire. Quel bonheur de les observer en pleine fuite.
    Le dictionnaire, l’ascenseur pour l’évasion.
  Aujourd’hui, ils doivent trouver les définitions de plusieurs mots appartenant au vocabulaire de l’espace et du temps pour réussir à faire leurs exercices. Ils travaillent dans une relative autonomie ce qui veut dire qu’ils passent leur temps à venir me voir à mon bureau pour que j’explique à nouveau les consignes :
- Madame ? C’est l’exercice trois qu’il faut faire ?
- Qu’est-ce que tu as écrit sur ton cahier ?
- Euh… Exercice trois !
- Bien !
- Mais c’est quelle page madame ?
- Qu’est-ce que tu as écrit sur ton cahier ?
- Après exercice trois ?
- Oui…
- Euh… Exercice trois page 238 madame !
- Bien !
- Mais, j’ai presque fini ma page là, comment je fais ?
- Tu tournes la page !
- Madame, c’est pas grave si j’écris en noir, mon stylo bleu il a plus d’encre ?
- Non…
- Qu’est-ce qu’on fait quand on a fini l’exercice trois madame ?
- Tu as fini ? !
- Oui !
- Tu as répondu à toutes les questions ?
- Il y a plusieurs questions ? Ah oui ! J’avais pas vu !
- Hein ! Y’a plusieurs questions madame ?
- Dis donc, Barnabé, ton exercice, tu crois qu’il va se faire tout seul ? !
- Madame, j’ai pas compris ce qu’il faut faire ! Vous pouvez venir m’expliquer ?
    Bref, ils travaillent donc dans une autonomie toute relative !
Pendant que je passe de l’un à l’autre, que je tente de gérer les bavardages, que je règle les problèmes d’intendance du cahier et des stylos de différentes couleurs, j’aperçois à plusieurs reprises Marcel se diriger vers mon armoire en fer, prendre un dictionnaire, le consulter, le ramener puis en prendre un autre. J’observe son manège et me rends compte qu’il passe en revue méthodiquement les vingt exemplaires de la série.
Intriguée, je finis par lui demander une explication.
- Madame, je cherche le mot «fugitif», il est dans aucun dictionnaire pour le moment !
- Il t’en reste combien ?
- Cinq madame !
- Bon courage…
- Merci madame !

Du courage, il va nous en falloir, je crois…

    Surtout, ne jamais oublier que ce sont encore des enfants.
Dans le fond de ma classe, une armoire grise.
Dans l’armoire grise, vingt dictionnaires en deuil.
Vingt « fugitif » se sont faits la malle…

26 octobre 2008

Trois ans plus tard, qu'est-ce qui a changé?

Une fois n'est pas coutume, je publie là un billet du 5 novembre 2005. Je n'en changerais hélas pas une seule ligne.

Et les braves gens de se demander pourquoi les banlieues brûlent…

     Je me souviens avoir défilé au milieu de banderoles sur lesquelles était inscrit : "L’école n’est pas une marchandise". Je me souviens l’avoir scandé, moi qui suis si souvent muette pendant les manifestations. Je me souviens avoir espéré que l’on nous comprendrait ou au moins que l’on nous croirait. Je me souviens avoir entendu les informations le soir même : "Les professeurs manifestent pour la revalorisation de leurs salaires"…

     L’école est une marchandise.

     Quand t’as pas le sou, tu fais pas le difficile, tu vas au restau du cœur, tu prends ce qu’on te donne. Quand t’es né là où il faut, dans un centre ville bien propret, à l’abri de la racaille, tu vas chez Fauchon te délecter d’un sandwich (au foie gras), pour montrer que tu le comprends, toi aussi, le peuple. Les mômes qui vont dans mon bahut y prennent ce qu’ils peuvent. Un peu d’humanité, on n’est pas des chiens n’est-ce pas?, et des miettes de savoir. Et l’on s’étonne qu’ils aient encore faim ? Et l’on s’étonne qu’ils fassent la " fine bouche " ? Et l’on s’étonne qu’ils refusent de bouffer les restes qu’on veut bien leur donner ? Ah ! Les pauvres ne sont plus ce qu’ils étaient… Mais autrefois, les pauvres, ils pouvaient encore rêver à ce qu’on appelait " la promotion sociale par l’école ". Autrefois, mes parents pouvaient quitter leur condition de fils et fille d’ouvriers. Autrefois, les gosses croyaient les maîtres qui leur disaient : "si tu travailles bien à l’école, tu réussiras, tu iras loin !".

     L’école est une marchandise

     L’école est une marchandise et c’est moi qui la sert, le sourire aux lèvres. Pourquoi? Je ne peux pas cesser de leur donner à manger, je sais qu’ils ont faim, je fais ce que je peux pour leur servir de l’amélioré, du délicat, de l’exotique, presque. Je voudrais ne pas baisser les bras, ne pas démissionner, lutter de l’intérieur. Mais j’ai parfois tellement honte de moi dans mon uniforme de chez Mac Do…

     Imagine un instant que tu es né à Clichy Sous Bois ou dans n’importe quelle autre ville délaissée ou banlieue de France, là où les bus ne passent plus, là où le chômage dépasse les 25 pour 100. Imagine un peu ce qu’on te répond lorsque tu cherches un stage ou un boulot, que t’as mis tes plus beaux habits et que t’as dit " bonjour-monsieur-s’il vous plaît-monsieur" et que tu dois " avouer " de quel collège tu viens.

     Imagine un instant que tu vois passer Sarko sous les boucliers-valises en Kevlar, qu’il promet aux habitants de la cité de "les débarrasser des voyous" et "de la racaille", et promet encore de "nettoyer au Kärcher" la Cité des 4000 et toutes celles qui y ressemblent. Sarkozy à Argenteuil qui lève la tête et lance: "Madame, je vais nettoyer tout ça ! "…

     Imagine un instant que tu es né là-bas. Imagine un instant qu’il n’y a pas d’avenir pour toi dans ces lieux et que tu n’as pas l’argent qu’il faudrait pour acheter une jolie maison avec le jardin et les roses qui vont bien, en plein centre ville. Imagine que tes parents ne peuvent pas s’installer près du lycée Henri IV ! Imagine que tu n’as plus aucun espoir, que tu as parfaitement compris que le bac de ton bahut, si tu vas jusque là, ne sera jamais le même que celui qu’auront les enfants des élites.

     Imagine un instant que tu n’en peux plus. Que tu n’en peux plus d’être humilié, d’être méprisé ! Que te reste-t-il pour te faire entendre d’une société qui est devenue sourde et aveugle ?

     Et c’est si beau, une ville qui brûle, la nuit…

18 octobre 2008

Le temps de respirer

     Il est des moments où la furie et la folie sont tellement proches qu’on ne sait pas toujours de quel côté on va basculer.
Jusqu’ici, j’ai toujours su me ressaisir à temps.
     Ce matin, cours avec les sixièmes Achtung. Seuls neuf d’entre eux sont là. Les autres sont au second étage, ils m’attendent devant ma salle habituelle car ils ont oublié que le vendredi ils m’ont au premier. J’entends des cris en haut, je me doute que c’est mes monstres, je sors dans le couloir. Ils sont quatre profs plus le CPE à tenter de les juguler, je m’apprête à aller leur prêter main forte pour ramener mes ouailles mais j’entends des cris du côté de chez Zouaves. Je me précipite donc car j’ai malheureusement dû les laisser seuls.
     J’entre dans ma salle…
     Bob est juché sur une table qu’il fait plier de ses presque 80 kilos. Il balance sur le plafond tout ce qui passe à sa portée (il est leste le bougre !). Vestes, cahiers, trousses et calculatrices jonchent déjà le sol au grand dam de ces dames et en particulier de Mélodie 1 et 2 à qui appartiennent les objets sus cités.
Raymond, surprenant mon regard interloqué, a l’extrême courtoisie de m’expliquer tout en hurlant de toutes ses forces - il est en effet incapable de parler doucement même placé à deux centimètres de mon oreille-  qu’un insecte non encore identifié – mais très probablement une abeille ou un truc qui pique trop grave- a osé pénétrer dans la classe mais qu’heureusement Bob est en train de régler le problème.
Je brise la carrière de chevalier du valeureux  Bob en lui intimant l’ordre de redescendre sur terre. Il est atrocement vexé, j’en aurai la preuve odorante dans quelques instants hélas… Il fallait que je tombe sur un chevalier péteur, ce sont les pires… Mais qu’allais-je donc faire dans cette educalère ?
     Pendant que j’étais occupée à brimer les instincts guerriers de Bob, une rixe sauvage a soudain éclaté du côté de l’armoire. Je jette un œil sur le globe terrestre qui est perché dessus. Il est intact. Oh… me vient alors l’idée puissante de m’emparer de lui et de le fracasser sur le crâne des belligérants, oh que l’idée est tentante… Fripouille vient d’expliquer à Jeannot que si sa mère l’a laissé au foyer c’est parce qu’elle suce des b**** tous les soirs.
Forcément, Jeannot l’a mal pris…
     Barnabé, n’écoutant que son courage, est déjà sorti de la salle pour aller prévenir tous les élèves de toutes les classes du couloir qu’un événement intéressant est en train de se produire, mesdames et messieurs c’est par ici, demandez le programme…
     Henri hurle en riant, Isoline a pris son regard vitreux, elle a porté ses mains au visage et elle se balance de manière saccadée, d’avant en arrière, c’est là que Boris fait son entrée en me sautant presque littéralement dans les bras parce qu’il a eu une bonne note ou en tout cas c’est le prétexte qu’il me donne. Je note aussitôt qu’Alphidor qui le suit de très près, rougit violemment tout en lui lançant un regard noir. Alphidor est jaloux mais ne le répétez pas, il me fait des dessins à chaque heure, il pleure quand je lui rends une mauvaise note, et il passe des heures à entourer mon nom sur la page de garde de son cahier de jolis petits soleils… Hélas, je suis bien trop vieille pour lui, d’après Mélodie 2 qui semble être une experte en la matière, la vie est cruelle pour Alphidor !
     Le reste des petits mignons arrive enfin dans la salle accompagné de la CPE et de mon assistante (la pauvre !). La CPE embarque les deux jouteurs pour qu’ils s’expliquent et l’assistante repart avec Alphidor qui vient d’ouvrir la fenêtre pour lancer un joli glaviot. Hélas, il a raté la victime potentielle qui passait juste en dessous. Blessée seulement.
     C’était les cinq premières minutes de mon cours...

     Je me suis demandé si je n’allais pas quitter la salle, quitter l’établissement, j’ai même eu l’idée audacieuse et l’espace d’un instant follement réjouissante d’aller hurler ma rage à mon principal, envie de monter moi aussi sur la table et de hurler comme une démente que moi aussi j’existe, que moi aussi je ne supporte plus cette violence, cette haine, cette misère, ces faux semblants, ce désengagement de l’état et de la société.
    
     Je me suis assise sur le bord de l’estrade.
J’étais toute petite, à vingt centimètres du sol.
J’ai soufflé.
J’ai baissé la tête.
Quand je l’ai relevée, ils me regardaient tous, étonnés.
Ça a duré une ou deux secondes, à peine.
Le temps d’une respiration.
Et c’était tellement bon…

4 octobre 2008

Fin de partie

Henri a la main sur la porte. Je viens de lui dire de ne pas s’en aller.
Il ne m’écoute pas, il sort.
Je le rattrape et le tiens par la main.
Alors Henri fait exactement la même chose que ma fille.
Qui a deux ans.
Il se jette par terre et s’étale de tout son long.
Ses pieds se mettent à battre le sol rageusement.
Je ne me laisse pas décontenancer, je lui tiens toujours la main.
Je tire doucement l’enfant, il glisse silencieusement le long du couloir.
C’est là que j’aperçois Eglantier qui fait cours en face de moi porte ouverte. Le professeur et ses élèves sont en train de nous observer dans un silence médusé.
Vingt paire d’yeux nous fixent sans un bruit.
Je ne me démonte pas, je leur balance un sourire.
Et je continue ma lente course, faisant mollement glisser mon petit homme récalcitrant jusqu’au pas de ma porte, puis à l’intérieur de ma salle de classe.
L’enfant vient se lover sous sa table.
Je lance un dernier sourire à mon public et referme doucement la porte.
Fin du spectacle.

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15 juin 2008

Graines d'espoir

- Madame, le Moïse du Coran, c’est le même que celui de la Bible ?
- Oui.
- Euh… ça veut dire que c’est le même Dieu, celui des Chrétiens et celui des Musulmans ?
- Oui. Celui des Juifs aussi.
- …
Ce petit bonhomme, qui vient de me poser ces questions, c’est lui qui m’affirmait il y a à peine un mois qu’il fallait tuer tous ces chiens de juifs.
- Madame, ils sont vraiment bêtes alors les gens qui tuent d’autres gens au nom de Dieu alors qu’ils ont le même Dieu ?
J’en ai les larmes aux yeux.
J'ai envie de le prendre dans mes bras.
Tout n’est pas perdu.
Les graines germent parfois.

Citronnelle dans sa classe.
Le ciel devient tout noir. Il est 9 heures du matin.
La grêle soudain. Les enfants n’en ont jamais vu.
Elle tend la main par la fenêtre, elle attrape un grêlon.
Petit morceau de glace dans la main de Citronnelle, les élèves éberlués autour.
Le grêlon fond doucement.
Stupeur des petits.
- Vous avez des pouvoirs magiques madame ! Vous faîtes disparaître le grêlon !
Tout n’est pas perdu.
Ils savent encore rêver les yeux ouverts.

31 mai 2008

Pourquoi j’ai honte d’appartenir à l’Education Nationale

Si vous trouvez que l’éducation coûte trop cher, essayez l’ignorance.
Abraham Lincoln



        L’éducation n’est plus nationale, depuis longtemps. Mais au moins, avant, je pouvais encore naïvement y croire, j’avais des idéaux. Je me disais : cette école n’est pas parfaite, mais nous ferons en sorte de réduire les inégalités sociales, je suis là pour ça, pour donner une chance à ceux qui sont les plus démunis face au savoir et à la culture.
Foutaises.
        Les bonnes classes roulent toutes seules, les mauvaises tombent de plus en plus bas et je ne puis plus qu’assister impuissante à cette dégringolade.
Je sais bien que sur les milliers d’élèves que j’aurais eus, il s’en trouvera bien quelques-uns à qui mon enseignement aura profité, il s’en trouvera toujours un ou deux qu’on pourra montrer en exemple pour ne pas se dire que nous avons vécu en vain.
Et les autres ?
        J’ai été très touchée par vos commentaires lorsque j’ai fait cet article, je suis d’accord avec vous, il faut semer, il faut garder l’espoir, nous faisons peu mais ce peu est essentiel.
Je suis touchée mais je reste profondément révoltée par cette entreprise générale de décervellement à laquelle je participe malgré moi.
        Je ne me sens plus faire partie de l’éducation « nationale », l’éducation nationale n’existe plus. Il ne faut pas se voiler la face.
Mes élèves sont dans un collège ghetto, méprisé par les autres établissements, stigmatisé par les médias, ignoré par les instances supérieures. Bien sûr, on s’agite, on bouge, on sort les élèves, ça remue, c’est beau mais ça ne change rien. Un élève qui sort de mon bahut part dans la vie comme un bœuf se dirige inévitablement vers l’abattoir.
Qu’est-ce qu’il lui reste s’il veut gravir les échelons de la société ? A prouver qu’on peut s’en sortir quand on vient de nulle part ? A devenir brillant pour espérer dépasser les préjugés ? A espérer qu’il fera partie de l’infime minorité des enfants des cités à qui on fait l’aumône d’intégrer une grande école ?
Oh ! Mais regardez comme cet enfant est doué ! Voyez où il a grandi ! C’est incroyable ! C’est bien la preuve que ces enfants-là aussi sont intelligents !
Ces enfants-là aussi sont intelligents, bien sûr… Regardez-les à la télé, le petit Rachid, la petite Jessica, dans leurs habits tout neufs en train de reproduire un discours formaté, la main dans celle du ministre, la fierté des parents, la revanche... Pour cent revanches par an, pour cent petits clowns tristes livrés ainsi au besoin de bonne conscience du public, combien de gosses abandonnés par l’éducation NATIONALE ?
Abandon du programme dans les établissements difficiles, baisse des effectifs, réduction drastique du nombre d’heures de cours, à qui veut-on vraiment faire croire que l’éducation est NATIONALE ?
L’élite continue à se reproduire, l’élite pourra payer les cours particuliers, l’élite pourra mettre ses enfants dans le privé, l’élite pourra encore se vautrer dans sa bonne conscience puisque l’ascenseur social existe, suffit de regarder tous ces soutiens individualisés, ces internats, ce « retour aux fondamentaux », à l’autorité…
        C’est ça, mettons les pauvres dans des écoles sans avenir, faisons croire aux parents que nous nous occupons d’eux, gardons-les le plus longtemps possible, faisons leur croire que le bac est un examen quand il n’est plus qu’une formalité artificielle, ne faisons plus redoubler, enlevons des heures de cours en primaire, engageons des guignols pour garder la marmaille, ne parlons plus de culture, causons communication, laissons les ordinateurs décider de l’orientation, refusons la qualité, exigeons la quantité, nivelons vers le bas, on en fera des bons petits soldats…
        A qui la faute ?
La faute à tous. La faute aux gouvernements qui ont abandonné depuis tellement longtemps les idéaux d’égalité, la faute aux parents qui ont démissionné, la faute aux profs qui assistent sans réagir à cet assassinat qui ne dit pas son nom.
C’est pas tout blanc tout noir, ça suffit les discours manichéens, il n’y a pas d’un côté les gentils profs qui voudraient bien mais ne peuvent point et puis de l’autre côté les grands méchants politiques qui font rien qu’à les embêter, les salauds.
Comment peut-on encore tolérer que des enseignants incompétents brisent la scolarité de certains élèves ? L’éducation nationale a bien besoin d’être dégraissée, c’est mon seul point d’accord avec l’ignoble individu qui parlait du mammouth. Nous ne pouvons pas accepter que des enseignants fassent mal leur travail, il y en a, pas plus qu’ailleurs, pas moins. Mais l’école ne peut pas accepter ça, c’est le destin de nos enfants qui se joue.
Il nous faut ouvrir les yeux, arrêter de nous réfugier derrière notre corporatisme imbécile, accepter nos défauts, chercher à faire mieux.
        Comment faire ?
J’aimerais bien avoir la réponse.
        A part démissionner, pour l’instant, je n’en sais strictement rien.
Mais cette démission doit être massive, autrement, elle n’a absolument aucun sens.
Un vacataire me remplacera, sans état d’âme, il faut bien vivre.
Créer une école parallèle ? Il faudra bien la financer et qui pourra y pourvoir, à part l’élite, encore elle ?
Et mon petit moi, dans tout ça ? Au chômage, avec la maison à payer, les enfants à nourrir ?
Faut-il toujours entrer dans le moule si on ne veut pas être brisé ?
        Je rêve de révolution et de lendemains qui chantent, mais je ne peux pas être la seule à rêver.
Tant que nous nous réfugierons derrière des querelles dérisoires et stériles, tant que nous continuerons à brasser de l’air, à attendre que les syndicats soient derrière nous pour oser gueuler, à faire des grèves d’une journée, à nous laisser persuader que la seule lutte encore valable et possible c’est l’augmentation de notre pouvoir d’achat, tant que nous continuerons à nous comporter comme des individus et non comme des enseignants et des citoyens, tant que nous accepterons par facilité, par lâcheté ou par impuissance à tolérer qu’on brade ainsi ce qui devrait être notre fierté et notre honneur, nous ne vaudrons pas plus que ceux que nous dénonçons.
        Puisqu’il me reste le rêve, je vais rêver.
Je vais continuer chaque jour à semer des graines invisibles, à donner des coups d’épée dans l’eau, à ravaler ma rage et ma honte, à accepter l’inacceptable.
        Jusqu’à quand ?
Jusqu’à ce qu’on en crève ou qu’enfin, nos idéaux prennent le pas sur …

Il est tellement urgent de se réveiller !

6 décembre 2007

La misère mais la joie.

Tout est en grand ici.
La misère et la joie.
Je suis sur la route, je vais à mon collège pour un conseil de discipline.
Devoir de réserve. Je ne vous dirai rien de cet enfant et de sa mère mais la pauvreté qui vous saute à la gueule, la violence à peine contenue, la honte, la culpabilité, la haine, le terrible sentiment d’échec quand on ne peut plus rien faire. Quand l’école ne sait plus faire…
Dans mon cartable, le dessin d’un oiseau bleu avec un bec rose et un œil jaune. Un petit bonhomme me l’a donné hier, il l’a fait pendant mon cours… Pour décorer votre classe madame !
Tout est en grand ici.
Grand le cœur de mes élèves qui veulent vider leur tirelire pour aider ceux qui sont encore plus pauvres qu’eux à partir avec nous à Paris.
Grand le rêve éveillé.
Grande la peur de ne pas réussir.
Grande la provocation qui est si souvent la peur de ne pas réussir.
Grands les rires.
Grands les sourires.
Grande la souffrance aussi.
J’entends trop souvent parler des « vrais gens », comme s’il y avait des faux gens. Je connais les vrais gens, je connais la vraie vie…J’en ai assez d’entendre ça.  On n’a qu’une vie, elle n’est ni vraie ni fausse. Ces enfants sont comme nous, ils souffrent, ils sont heureux, ils ont peur, ils s’enthousiasment, ils regrettent… Ils vivent. Je ne saurais pas tout ça si je n’étais pas professeur dans cet établissement. Je me dirais peut-être que ce sont des pauvres gens mais ça ne veut rien dire. Je ne saurais pas, je continuerais à voir ce que d’autres appellent la « réalité » dans un miroir déformé. La télé nous montre tous les ans, un peu avant Noël, des personnes qui souffrent du froid ou de la faim. Que savons-nous d’elles, vraiment ? Rien, ou si peu. Ce sont juste des images. Les élèves que j’ai devant moi ne sont pas des images, ils ne font pas gentiment la queue en attendant la soupe populaire. Ils gueulent, ils bougent, ils aiment, ils pensent, ils frappent, ils pleurent, ils puent, ils espèrent, ils désespèrent…
Tout est en grand ici.
La misère et la joie.
Les larmes sur les joues de cette petite qui vient de fuguer parce qu’on l’oblige à partir dans un autre pays et que ses copines ramènent au collège par la main.
La colère dans les yeux de cet enfant qui s’obstine à refuser la main qu’on lui tend.
Le sourire jusqu’aux oreilles de celle qui vient de comprendre enfin cette satanée leçon.
La fierté de celui qu’on avait toujours montré du doigt et qu’on vient pour la première fois de montrer en exemple.
Tout est en grand ici.
La misère mais la joie.

29 mars 2007

Par cœur

Elles avancent à petits pas. J’entends leur souffle qui s’accélère. Elles regardent leurs pieds. Elles s’étourdissent de mots, elles repassent en boucle le poème dans leur tête. J’entends les sanglots longs des violons qui s’échappent par moments de leurs bouches mi-closes. J’entends une litanie insolite. J’entends une prière au dieu des poètes.

Nous entrons dans le bureau des chefs.

Les trois petites me lancent un regard de captives, je lis le désir de fuite immense au fond de leurs yeux.

Elles doivent mourir de peur sous leurs visages figés par le trac.

Elles doivent penser qu’elles voudraient être ailleurs.

Elles doivent attendre avec impatience le moment où elles pourront sortir de ce bureau.

Moi, dans le couloir, juste avant : "Courage les filles ! N’oubliez pas de réciter lentement, prenez votre temps ! Ne vous inquiétez pas ! Personne n’est là pour vous juger ! C’est un cadeau que vous faites ! Vous offrez un poème !"

Elles, dans le bureau, droites comme jamais, concentrées sur les mots qui vont bientôt s’échapper d’elles.

Nous, dans le bureau, émerveillés par leur courage, redoutant qu’elles ne se trompent, priant intérieurement pour qu’elles ne faiblissent pas.

L’une d’entre elles dit soudain : Les sanglots longs… Les voilà toutes trois qui poursuivent et les mots de Verlaine entrent à pas de loup dans le bureau, s’infiltrent dans nos oreilles et s’insinuent dans nos cœurs de vieux enfants.

Leurs mains ne tremblent plus.

Leurs yeux fixent un ailleurs qui nous est étranger.

Leurs voix se mêlent au bruit de la pluie.

Le téléphone sonne personne ne répond.

Elles récitent par le cœur.

24 janvier 2006

Parfois...

Parfois j’ai le temps de regarder par la fenêtre de ma salle. Pas souvent. Pas longtemps.

Parfois j’ai le temps de raconter une histoire à mes élèves. Pas souvent. Pas longtemps.

Parfois j’ai le temps de leur montrer un nuage invraisemblable dans le ciel. Pas souvent. Pas longtemps.

Parfois j’ai le temps de leur lire un poème, doucement. Pas souvent. Pas longtemps.

Parfois j’ai le temps de prêter l’oreille aux mots retenus. Pas souvent. Pas longtemps.

Parfois j’ai le temps de m’évader en pensée. Pas souvent. Pas longtemps.

Parfois j’ai le temps de prendre le temps. Pas souvent. Pas longtemps.

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